•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Un lobbyiste de l’agrochimie dirigera l’Ordre des agronomes du Québec

Pendant ce temps, le gouvernement tarde à redéposer son projet de modernisation de la Loi sur les agronomes.

Des plants de fraises dans l'eau.

Le conseil d'administration a approuvé jeudi la nomination de Benoît Pharand au poste de directeur général.

Photo : Radio-Canada

Un promoteur de l'industrie agrochimique (pesticides, engrais, etc.) va prendre la direction de l'Ordre des agronomes du Québec. L'arrivée de Benoît Pharand survient à un moment crucial, puisque le gouvernement tarde à moderniser la Loi sur les agronomes, vieille de 50 ans, notamment sur les questions d'indépendance des professionnels par rapport aux industriels.

Le conseil d'administration a approuvé jeudi la nomination de Benoît Pharand au poste de directeur général.

Benoît Pharand.

Benoît Pharand.

Photo : Réseau végétal Québec/Brigitte Faucher

Benoît Pharand était jusqu'à jeudi PDG du Réseau végétal Québec, une association d’une cinquantaine d'entreprises, dont Bayer, Corteva, Syngenta et Sollio, d'importants fabricants et vendeurs de pesticides au Québec. Il a démissionné le soir de sa nomination alors que son équipe venait d'apprendre la nouvelle par un appel de Radio-Canada.

Réseau végétal Québec est un partenaire de CropLife Canada, le lobby de l'industrie agrochimique au pays. Ces deux organisations ont conclu un protocole d'entente en 2020 afin d'aider le Réseau végétal à devenir une voix importante sur le territoire québécois en ce qui concerne les pesticides sur le plan de la sensibilisation tant des médias que du gouvernement, peut-on lire dans le rapport annuel 2020-2021 de CropLife.

Réseau végétal compte une cinquantaine d'entreprises membres, dont Bayer, Corteva, Singenta et Sollio, d'importants fabricants et vendeurs de pesticides au Québec.

Réseau végétal compte une cinquantaine d'entreprises membres, dont Bayer, Corteva, Syngenta et Sollio, d'importants fabricants et vendeurs de pesticides au Québec.

Photo : Réseau végétal Québec

Sur le réseau social LinkedIn, Benoît Pharand a partagé plusieurs publications de CropLife dans les dernières semaines, notamment une qui dénonçait la confusion et [la] désinformation au sujet des résidus de pesticides sur les aliments, un dossier qui a fait grand bruit sur la scène fédérale.

On pouvait lire ceci : Les pesticides sont des outils essentiels que les agriculteurs utilisent pour protéger leurs cultures contre les insectes, les mauvaises herbes et les maladies et pour aider à rendre les cultures plus résistantes aux phénomènes météorologiques violents afin de tirer le meilleur parti de chaque plante.

Radio-Canada a publié plusieurs enquêtes au sujet de l'influence de CropLife sur les politiques du gouvernement canadien au sujet des pesticides. L'an dernier, un scientifique nommé par le gouvernement fédéral pour le conseiller dans ses décisions relatives aux pesticides avait démissionné en critiquant notamment l'influence des lobbys.

Un mandat de lobbyiste au sujet de la Loi sur les agronomes

Benoît Pharand, qui entrera en poste le 15 avril, a aussi un mandat de lobbyiste enregistré jusqu'en novembre 2024 auprès de Lobbyisme Québec dans le but d'influencer le ministère de l'Agriculture et l'Office des professions au sujet de la révision de la Loi sur les agronomes pour garantir « la compétitivité du secteur agricole ».

Parmi les questions au cœur du projet de loi du gouvernement Legault, il y a l'encadrement de l'indépendance des agronomes. Au Québec, la majorité des agronomes qui conseillent les agriculteurs sur leur utilisation des pesticides sont salariés des compagnies qui commercialisent les pesticides.

Il s’est vendu des quantités records de pesticides dans la province depuis plusieurs années et encore récemment (Nouvelle fenêtre). Certains agronomes ont même reçu des incitatifs financiers illégaux pour vendre davantage de ces produits.

Il y a une dizaine d’années, des recherches scientifiques qui démontraient que certains pesticides étaient utilisés sans que ce soit nécessaire avaient fait l'objet de tentatives de camouflage. C'est ce que dénonçait le lanceur d'alerte Louis Robert, ancien fonctionnaire au ministère de l'Agriculture.

Louis Robert est retraité du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec.

Louis Robert est retraité du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

En juin 2022, le ministre de l'Agriculture, André Lamontagne, avait déposé le projet de loi 41 pour réformer la Loi sur les agronomes. Il proposait notamment d’interdire à un agronome de faire à la fois de la vente de pesticides et des services-conseils aux agriculteurs.

Cependant, ce projet de loi est mort au feuilleton, car il a été déposé quelques jours avant la fin de la session parlementaire. Il n'a pas été redéposé depuis.

Le lendemain de ce dépôt, le Réseau végétal avait fait partie de représentants de l’industrie qui avaient critiqué le texte. Selon eux, le projet de loi aurait ignor[é] la compétence de centaines de professionnels issus de l’agronomie, qui travaillent quotidiennement au bénéfice des producteurs et de l’agriculture québécoise.

Malgré nos demandes pour parler à Benoît Pharand, la semaine dernière, directement auprès de lui, du Réseau végétal Québec et de l'Ordre des agronomes, il n'était pas disponible pour répondre à nos questions.

Un lobbyiste de l'industrie comme DG d'un ordre dont la mission est de protéger le public, ça n'a pas de sens, ça devrait être un critère disqualifiant, a réagi une source membre de l'Ordre des agronomes qui a demandé à taire son identité, car elle va être amenée à travailler avec M. Pharand.

Si on doit éviter [non seulement] le conflit d'intérêts mais aussi l'apparence de conflit d'intérêts, un directeur général lobbyiste, ça ne tient pas la route si on est logique.

Une citation de Une source de l'Ordre des agronomes

De son côté, l'agronome Louis Robert n'est pas surpris par cette nomination. Il avait déjà dénoncé, dans son livre, le poids des agronomes du privé au sein de l'Ordre. C'est la décision d'un conseil d'administration miné par les conflits d'intérêts. Pas de surprise là, mais j'aurais cru qu'ils soient plus discrets, qu'ils fassent attention.

L'Ordre des agronomes s'apprête à faire un changement de garde complet puisque la présidente et le vice-président ont récemment annoncé leur départ et seront bientôt remplacés.

Pas d'inquiétude, assure la présidente de l'Ordre

La présidente du conseil d'administration a accepté de nous accorder une entrevue à la place de Benoît Pharand. Elle affirme que M. Pharand s'est retiré du registre des lobbyistes jeudi même si son inscription était toujours visible au moment de publier ce texte.

Martine Giguère est assise en entrevue dans la nouvelle Maison de Radio-Canada.

Martine Giguère représente 3300 membres de l'Ordre des agronomes du Québec. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Charles Pépin

Martine Giguère explique que le rôle du directeur général est avant tout un rôle de gestion des ressources humaines et des opérations. Le directeur général n'est pas là pour orienter la position de l’Ordre. La position de l’Ordre, elle vient du conseil d’administration, comme le prévoit le Code des professions.

Un directeur général qui irait à l’encontre des orientations du conseil d’administration, il ne pourrait pas être bien longtemps dans ses fonctions.

Une citation de Martine Giguère, présidente de l'Ordre des agronomes du Québec

L'ancien directeur général avait tout de même joué un rôle clé aux côtés de la présidente dans le projet de réformer le code de déontologie des agronomes.

Il va travailler dans le sens de la mission et des valeurs de l’Ordre. Je n’ai pas d’inquiétude à ce sujet-là.

Une citation de Martine Giguère, présidente de l'Ordre des agronomes du Québec

Dans le communiqué de presse émis jeudi soir par l'Ordre, on peut lire cette citation de M. Pharand : Je suis heureux de mettre à profit mon expertise au développement de la profession. [...] Je suis fier de prendre part à une organisation qui reflète mes valeurs profondes et qui a pour mission la promotion de l’excellence de la profession ainsi que la protection du public.

Les raisons du retard du projet de loi

Le cabinet du ministre de l'Agriculture n'est pas en mesure de dire quand le projet de loi sera redéposé. En fait, il n'est pas non plus en mesure d'affirmer qu'il sera redéposé.

On est en train d'analyser les modifications au code de déontologie que l'Ordre propose au ministère, explique l'attachée de presse du ministre, Sophie Barma.

Je ne vous dis pas ce qui va se passer par la suite : est-ce qu'il y aura encore un projet de loi? On n'est pas là. [...] Je n'exclus pas un dépôt de loi, mais pour l'instant, on analyse ça avant toute action.

Une citation de Sophie Barma, attachée de presse du ministre de l'Agriculture du Québec
Portrait d’André Lamontagne.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

De son côté, la présidente de l'Ordre explique que le projet présenté au ministère consiste à modifier et [à] ajouter des dispositions pour mieux encadrer l’apparence de conflits d’intérêts et le conflit d’intérêts.

Martine Giguère espère qu'un projet de loi sera de nouveau déposé, car la vieille loi de 1973 ne reflète plus la pratique agronomique d’aujourd’hui.

L’Ordre a aussi recommandé au gouvernement de mettre fin à la vente libre de pesticides au Québec, sans quoi la protection du public et de l’environnement demeure[ra] un [problème] réel.

En revanche, la présidente n'est pas favorable à l'idée d'interdire à un agronome de vendre des pesticides en même temps qu’il fait du service-conseil. Cet article du projet de loi, ça nous agaçait. Elle pense qu’il faut un professionnel qui a toutes les connaissances scientifiques requises en agronomie pour accompagner le producteur agricole dans l’achat et, donc, dans la vente et le suivi après l'utilisation de ces pesticides.

Un tracteur avec des tuyaux à l'arrière déverse un produit dans un champ.

Un tracteur épand des pesticides dans un champ de soya.

Photo : Getty Images / iStock / Fotokostic

Martine Giguère nous apprend que le ministère de l'Agriculture a mandaté le Bureau de normalisation du Québec de développer une norme pour les entreprises qui offrent des services-conseils en même temps que la vente pour mieux encadrer et baliser ces deux activités.

Selon l'agronome Louis Robert, le code de déontologie actuel est très bien tel qu'il est, il n'est juste pas appliqué. Par exemple, l'article 28 indique que l’agronome doit éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts et l’article 29 lui impose d’informer son client s’il se trouve en apparence de conflit d’intérêts.

Louis Robert dans un champ près de Sainte-Hyacinthe.

L'an dernier, le Protecteur du citoyen a aussi donné raison au lanceur d'alerte Louis Robert et a conclu que l'ancien président du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), Christian Overbeek, un agronome actif jusqu’en 2020, « s'est placé de façon récurrente en situation de conflit d'intérêts » « en discréditant les recherches du CÉROM ». L’Ordre des agronomes n’a jamais initié d’enquête, de son propre chef, à ce sujet. Selon le journal Le Devoir, mardi, une plainte anonyme aurait fini par déclencher une enquête du syndic.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Vendredi, cinq ans après son congédiement, puis sa réintégration, avec des excuses du premier ministre François Legault, Louis Robert a été ovationné après avoir pris la parole lors d'un forum à l'occasion de la Journée nationale des lanceurs d'alerte, organisée par l'Unité permanente anticorruption, la Commission municipale, l'Autorité des marchés publics, le Protecteur du citoyen, le Bureau de l'inspecteur général de la Ville de Montréal, Élections Québec, le Commissaire à l'éthique et à la déontologie ainsi que Lobbyisme Québec.

Louis Robert a raconté son expérience douloureuse mais nécessaire, qui a contribué à faire changer des pratiques, même s'il estime ces changements insuffisants.

Le conseil d’administration de l’Ordre s'est doté d'un code d’éthique et de déontologie, a instauré une formation continue obligatoire des agronomes et a revu son processus électoral. En 2019, Louis Robert avait échoué de peu à se faire élire à la présidence de l'Ordre. Il avait perdu avec 49,6 % des voix.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.