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Alexander Bourassa, Frederick Plamondon, Arthur Bourassa et Benoit Plamondon buvant et fumant à l'intérieur du magasin Plamondon vers 1920.

100 ans après la fin de la prohibition en Alberta : retour sur ces années sans alcool

Il y a 100 ans, la prohibition a pris fin en Alberta. En mai 1924, les magasins d'alcool ont réouvert leurs portes dans la province, mettant fin à une interdiction de vente de boissons alcoolisées qui aura duré huit ans.

L'effort de guerre

Au début du 20e siècle, plusieurs mouvements se sont ligués pour interdire la vente d’alcool au Canada.

L'alcoolisme était considéré non seulement comme étant un fléau moral, mais aussi comme étant à l'origine de la pauvreté, de la violence conjugale et de la criminalité.

En pleine Première Guerre mondiale, la prohibition était également vue comme un devoir patriotique et un effort pour aider à gagner la guerre, comme l'explique Sara King, archiviste aux Archives provinciales de l'Alberta.

Alors que les soldats étaient au front, plusieurs remettaient en question la consommation d'alcool. Pourquoi deviendrait-on ivre, puis on ferait la fête pendant qu'on est sur des restrictions, des mesures de guerre? dit l’historien indépendant Stéphane Guevremont.

En Alberta, les partisans du mouvement de la non-consommation d'alcool étaient majoritairement des personnes de la classe moyenne, faisant partie du mouvement évangélique chrétien et vivant dans des zones rurales ou dans de petites communautés, note Sara King.

En 1915, 61 % des Albertains se sont prononcés en faveur de la prohibition et ainsi, sous le Liquor Act (Nouvelle fenêtre) (en anglais), la province a interdit, en 1916, la vente de boissons alcoolisées en Alberta.

Illégale, mais…

La copie d'une prescription d'alcool datant de 1922.

La copie d'une ordonnance d'alcool. À Irricana, un village de 112 habitants, des ordonnances pour plus de 31 litres (1052 onces) d'alcool ont été délivrées pour le seul mois de janvier 1919. Par la suite, les médecins ne pourront faire que 25 ordonnances par mois, de 240 ml chacune (8 onces), et devront soumettre des carnets d'ordonnances au gouvernement. Mais les infractions à la loi persisteront.

Photo : Fournie par les archives du Musée de Glenbow

Même si la vente d’alcool était interdite, certaines règles étranges permettaient aux Albertains de continuer à se procurer de l’alcool durant la prohibition, affirme Belinda Crowson, présidente de la société historique de Lethbridge.

La vente de bières légères contenant moins de 2,5 % d’alcool restait légale. Il était également possible d'importer de l'alcool d'autres provinces ou de l'étranger, ou encore d'en fabriquer soi-même.

Un médecin pouvait également prescrire des bouteilles d’alcool à ses patients, la vente d’alcool à des fins médicales n’étant pas proscrite dans la province.

En 1920, un demi-million de bouteilles d’alcool ont été autorisées légalement par des médecins.

Une citation de Stéphane Guevremont, historien indépendant

Ce marché a ouvert la porte à quelques pots-de-vin, explique l’historien indépendant Stéphane Guevremont. À l'époque, des patients pouvaient recevoir une fausse ordonnance en échange de 2 ou 3 $.

Trois personnes posent à côté d'un alambic illégal près de Cardston, au début des années 1920.

Trois personnes posent à côté d'un alambic illégal près de Cardston, au début des années 1920.

Photo : Fournie par les archives du Musée de Glenbow

Commerces illégaux

L'application de la loi devenait de plus en plus difficile au fil des années et de nombreuses personnes l'enfreignaient ouvertement, affirme Sara King.

En principe, les gens soutenaient l'idée de la prohibition, mais pas pour eux-mêmes.

Une citation de Sara King, archiviste aux archives provinciales de l'Alberta

De nombreux commerces clandestins se sont développés. Une grande quantité d'alcool était exportée vers les États-Unis de façon illégale. Nous savons, d’après les quantités d’alcool fabriquées, comme le Squirrel Whisky, qu’il y avait beaucoup de contrebande, note Belinda Crowson.

L’Alberta avait également son équivalent des bars clandestins (speakeasies) connus aux États-Unis, les blind pigs, soit des débits de boissons clandestins, ajoute-t-elle.

Un homme transporte un barillet sur son épaule.

Prohibition à Frank, en Alberta, vers 1920. Les fabricants de tonneaux et les embouteilleurs allaient aussi souffrir de la loi sur les boissons alcoolisées.

Photo : FOURNIE PAR LES ARCHIVES PROVINCIALES DE L'ALBERTA / PAA, PR1966.0123 (A1745)

Squirrel Whisky

Le « whisky d’écureuil » (Squirrel Whisky) était l’une des boissons maison durant la prohibition. Son nom vient du fait que cet alcool était censé rendre fou (Make you nuts, en anglais).

Un vote pour le retour de la vente d’alcool

En 1922, même les partisans les plus convaincus commençaient à admettre que la prohibition n'était pas respectée. En 1923, une majorité d’Albertains ont voté, par voie de plébiscite, en faveur de la fin de celle-ci.

C’est probablement le plébiscite le plus étrange que j’ai jamais vu.

Une citation de Dan Malleck, professeur au département des sciences de la santé de l’Université Brock

Parmi les quatre choix qui s’offraient à la population albertaine, la seule option qui comprenait une régulation gouvernementale autorisait également la vente d’alcool dans les tavernes d’hôtel, ce qui était beaucoup plus libéral que n’importe quelle province à ce moment-là, note Dan Malleck, professeur au département des sciences de la santé de l’Université Brock.

Carte animée montrant en rouge les périodes de prohibition dans les provinces canadiennes.

La prohibition au Canada en dates. Au Québec, seule la vente d’alcool distillé était interdite, la vente de bière, de cidre et de vin était toujours autorisée.

Photo : Radio-Canada / Mylène Briand

Un groupe nommé Moderation League of Alberta était l’un des principaux acteurs de la campagne contre la prohibition. Ce dernier soutenait que la prohibition bénéficiait aux criminels, qui s'enrichissaient et qui contribuaient à l'augmentation de la violence.

La question de la santé a également été soulevée en faveur de la fin de la prohibition. Les gens buvaient des produits mortels pendant les années de la prohibition. Ils voulaient donc un approvisionnement sûr en alcool, note Brenda Crowson.

Une réouverture en toute sobriété

La fin de la prohibition n’a pas été synonyme de consommation à outrance, comme l'explique Dan Malleck. Les règles entourant l’achat d’alcool restaient strictes.

Dan Malleck ajoute que les tavernes n’étaient pas des lieux de fête : C’était assez restreint, ce qu'on pouvait y faire. Selon lui, le mouvement de tempérance a influé sur la réputation négative des tavernes, amenant à les considérer comme des endroits où les gens détruisaient leur vie.

Les tavernes présentaient deux entrées : une pour les hommes et une pour les femmes et les hommes qui accompagnaient. Dan Malleck explique c’était pour séparer les hommes célibataires des femmes célibataires, et éviter que les tavernes ne deviennent un lieu de rencontre.

La devanture de l'Hotel Garden, à Lethbridge, comprend deux entrées séparées : une pour les hommes et une pour les femmes.

L'Hotel Garden, en 1978, qui se situait à Lethbridge, avait deux entrées, une pour les hommes et une pour les femmes.

Photo : Fournie par les archives du Musée de Galt

Des traces qui perdurent

Pendant de nombreuses années, les hôtels ne pouvaient vendre que de la bière, et les bouteilles d’alcool fort étaient accessibles uniquement dans les magasins spécialisés, régis par le gouvernement à l’époque.

Les consommateurs devaient également avoir un permis d’alcool et remplir un formulaire au moment de l’achat. C’était une façon de s’assurer que les gens ne boivent pas trop et d'éviter les systèmes de revente illégale, explique Dan Malleck.

Il a fallu des années et des années, voire des décennies, pour se débarrasser des règles.

Une citation de Belinda Crowson, présidente de la société historique de Lethbridge

Dans quelques municipalités de l'Alberta, dont la petite ville de Cardston, on ne vend aucune goutte d'alcool encore aujourd'hui. Bien que la prohibition y ait été levée il y a quelques mois, aucun permis d'alcool n'a encore été délivré.

Selon Dan Malleck, les années de prohibition se font encore ressentir dans le pays. Nous considérons encore souvent l’alcool comme quelque chose qui doit être géré avec beaucoup de précaution, comme si nous étions toujours à un pas du désastre social complet, conclut-il.

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