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Les Mères mohawks et les orphelins de Duplessis mettent en demeure la SAQ

Le Groupe de travail sur les sépultures anonymes de l'Association canadienne d'archéologie appelle à l'utilisation de chiens détecteurs de restes humains sur le site, une recommandation que la SAQ n'entend pas suivre.

Une dizaine de personnes tiennent une banderole et une pancarte où l'on peut lire "sexual child abuse".

Le regroupement des orphelins de Duplessis et des Mères mohawks était rassemblé devant l'entrepôt de la SAQ de la rue des Futailles, dans l'est de Montréal, mercredi.

Photo : Radio-Canada / Jérôme Gill-Couture

« Ignorés, blessés », les orphelins de Duplessis et les Mères mohawks font front commun en mettant en demeure la Société des alcool du Québec (SAQ). La société d'État veut agrandir son entrepôt sur le terrain d'un ancien hôpital où des enfants seraient morts et enterrés anonymement, et elle ne souhaite pas poursuivre les recherches sur les lieux.

En conférence de presse, devant l'entrepôt en question, le président du Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis, Hervé Bertrand, a rappelé l'horreur qu'il a vécue ici, dans les années 1950, alors que l'endroit était toujours connu comme l'Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu.

Il y avait une salle, la salle Saint-Léon, où l'on stationnait les enfants. C'était la pénitence suprême pour ceux qui n'écoutaient pas les ordres. Ils faisaient des expériences "universitaires", ils fouillaient dans la tête, partout. S'ils avaient besoin d'un membre, ils le coupaient, a-t-il raconté, la voix tremblotante.

Hervé Bertrand, encadré de deux hommes, montre un document.

Le président du Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis, Hervé Bertrand, montre un document qui atteste d'un test de maladie vénérienne qu'il a passé lorsqu'il avait 12 ans. «Ils savaient qu'on subissait des viols, et c'est pour ça qu'ils nous testaient.»

Photo : Radio-Canada / Jérôme Gill-Couture

Selon ses dires, peu d'enfants survivaient à ces expérimentations, et ils étaient pour la plupart enterrés sur place dans un cimetière nommé la soue à cochons. On estime que plus de 2000 corps auraient été enterrés ici, à une certaine époque.

Toujours devant l'entrepôt, l'anthropologue Philippe Blouin a retracé l'histoire de l'endroit. En 1967, les sœurs de la Providence ont officiellement exhumé le cimetière, mais, quand la SAQ a acheté le terrain et construit son premier entrepôt, en 1975, ils ont trouvé d'autres corps, en très grande quantité.

En 1999, lors d'un autre projet d'expansion de la SAQ, une série d'articles du Journal de Montréal témoignait que les contractants avaient de nouveau trouvé des restes humains. Mais cette fois, il n'y a eu aucun rapport là-dessus.

Une citation de Philippe Blouin, anthropologue

Quelle possible raison pourrait avoir la SAQ de ne pas vouloir faire appel aux chiens détecteurs de restes humains, selon vous? a questionné l'avocat des orphelins de Duplessis, Frédéric Bérard, sous-entendant la possibilité que la SAQ s'attende à retrouver des restes humains.

Des dossiers médicaux scellés

Pour les orphelins de Duplessis et les Mères mohawks, le fait que la société d'État refuse de respecter les recommandations de l'ACA est indigne, inhumain et amène le risque de désacraliser les sépultures de ceux qui sont enterrés ici.

Les enfants orphelins ont reçu de faux diagnostics des psychiatres de l'État québécois pour aller chercher des subventions au fédéral. Ils ont été sacrifiés, a souligné Frédéric Bérard.

C'est l'un des pires passages de l'histoire du Québec, et un gouvernement comme celui de la CAQ, qui se vante de la fierté nationale, qui nous parle d'histoire et de l'importance de se rappeler le passé, ce serait bien qu'il se rappelle ce passé-là aussi.

Une citation de Frédéric Bérard, avocat des orphelins de Duplessis

Bien qu'il soit impossible d'en connaître le nombre exact, plusieurs Autochtones ont été institutionnalisés ici, d'où la présence des Mères mohawks.

Ces événements et ceux des pensionnats se sont chevauchés. Comme les orphelins de Duplessis, beaucoup d'Autochtones ont été enlevés à leurs familles parce qu'ils étaient nés hors mariage et étaient donc considérés comme les enfants du diable.

Il y a des histoires comme ça dans ma propre famille, raconte Kahentinetha, membre du collectif Solidarité des Mères mohawks, avant d'insister sur le fait que toutes les communautés du Québec ont des histoires similaires, où des employés de l'État ont enlevé des enfants à leurs familles pour différentes raisons.

Kahentinetha, du collectif Solidarité des Mères mohawks, devant un micro.

Kahentinetha, du collectif Solidarité des Mères mohawks.

Photo : Radio-Canada / Jérôme Gill-Couture

Philippe Blouin explique que le fait que Saint-Jean-de-Dieu ait été un hôpital complique encore davantage les recherches pour retrouver les enfants qui ont fréquenté l'établissement et qui auraient pu y mourir.

Les registres et les documents existent probablement et seraient une mine d'information, mais comme ce sont des dossiers médicaux, ils sont confidentiels et ne peuvent être ouverts que par la famille immédiate. Pour des orphelins, c'est donc impossible, a-t-il expliqué.

Beaucoup de mystère demeure sur l'endroit, selon le regroupement des Mères mohawks et des orphelins de Duplessis.

Ça devrait amener une grande prudence de la part de la SAQ. Ça lui fait quoi d'attendre quelque temps avant d'agrandir son entrepôt, comparativement à ce que tous ces gens ont vécu? a lancé Frédéric Bérard.

La mise en demeure doit marcher, parce qu'une fois que les travaux auront commencé, on ne pourra jamais revenir en arrière, a affirmé l'avocat.

Il a précisé que la mise en demeure a été envoyée mardi en fin d'après-midi par courrier recommandé. Pour sa part, la SAQ a indiqué mercredi, par courriel, qu'elle n'avait pas reçu pour le moment la mise en demeure.

Les précisions de la SAQ

Lors d’un point de presse qui a suivi celui des deux groupes, Lilli Prud'homme, directrice du développement immobilier et porte-parole de la SAQ dans ce dossier, a tenu à faire une mise au point.

Elle a d’emblée tenu à rectifier qu’il n’y a jamais eu de sépultures sur le site visé par nos travaux. L’emplacement du cimetière et du cimetière anonyme de l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu se retrouvait à l’époque sous l’emplacement actuel de nos bâtiments. Ceux-ci ont d’ailleurs été exhumés à deux reprises, soit en 1960 et en 1975.

Elle a également précisé que même si la SAQ a rencontré des représentants de l'Association canadienne d'archéologie, qui n’est pas un ordre professionnel, elle n’avait pris aucun engagement relativement à l’application de leurs observations.

La société d’État s’en remet aux conclusions et aux recommandations des experts d’Arkéos, une société d'expertise en recherches anthropologiques mandatée par Québec, qui ont confirmé qu’il n’y a pas de problème à la reprise des activités de la SAQ sur cette portion du terrain.

Concernant l’utilisation des chiens pisteurs, nous avons posé la question aux autorités compétentes pour évaluation. Leurs conclusions stipulent que ce type de méthode n’est pas approprié pour notre site, a souligné Mme Prud’homme.

Quant aux ossements et fragments d’os retrouvés lors de l’inventaire archéologique, l’analyse effectuée par deux bioarchéologues indépendants ainsi que par un zooarchéologue conclut qu’ils sont d’origine animale, selon la porte-parole de la SAQ.

Ces analyses, croisées avec l’étude des données historiques, permettent aux experts d’affirmer avec confiance que les restes osseux retrouvés sont d’origine animale. Ils confirment donc qu’il n’y a pas d’enjeu à la reprise des activités de la SAQ sur cette portion du terrain.

Une citation de Lilli Prud'homme, directrice du développement immobilier à la SAQ

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